L’adage selon lequel "nul ne peut se constituer de preuve à soi-même" est inapplicable à la preuve des faits juridiques. De quelques conséquences pratiques pour les plaideurs…
Publié le :
03/07/2014
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juillet
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07
2014
Par Cyril Nourissat, Professeur agrégé des Facultés de Droit
Et Philippe LECONTE, Avocat associé
Par un arrêt du 6 mars 2014, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation prononce un arrêt salutaire dont, d’ailleurs, la publication au bulletin est prévue (Cass. 2ème civ., 6 mars 2014, n° 13-14295, à paraître au Bull.). Au visa de l’article 1315 du Code civil, la Cour énonce de manière particulièrement nette que " le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique ". Et de censurer pour violation de la loi l’arrêt de la Cour d’appel de Metz qui avait rejeté les prétentions sans examiner les pièces produites (des courriers adressés à des tiers, des attestations établies par le demandeur ainsi que des dépôts de plainte).
Cette décision est alors l’occasion de revenir brièvement sur la portée exacte de l’article 1315 du Code civil qui, rappelons-le, dispose que " celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver " et, plus particulièrement, sur la portée de l’adage qui en découle selon lequel " nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ". L’article 1315 apparaît comme assez lacunaire en ce qui concerne son domaine d’application. Selon une lecture littérale, il ne vise que les demandes concernant l’exécution d’une obligation, et la preuve, en sens inverse, de l’extinction de cette obligation. Cependant, chacun admettra que la règle énoncée a, en réalité, une portée beaucoup plus générale. Et il suffit alors de souligner qu’il joue aussi bien dans les cas pour lesquels la preuve est libre – la preuve des faits juridiques – que dans les cas pour lesquels certains modes de preuve, l’écrit notamment, sont exigés par la loi – la preuve des actes juridiques –. Cette distinction essentielle doit toujours être présente à l’esprit des plaideurs comme des juges du fond. Et c’est ce que rappelle ici à nouveau la Cour de cassation.
A nouveau, car force est de constater qu’en la matière la Haute juridiction, toute formation confondue, ne cesse de le dire – plus ou moins explicitement – depuis plusieurs années (cf. par ex. Civ. 1ère, 1er février 2005, n° 02-19757 ; Civ. 3ème, 3 mars 2010, n° 09-21056 et n° 08-21057 ; Civ. 2ème, 10 octobre 2013, n° 12-24552). On retiendra cependant l’arrêt du 6 mars 2014 comme étant le plus net dans sa prise de position.
Une telle affirmation emporte alors de nombreuses conséquences. On en identifiera deux qui directement et indirectement constituent un message clair aux plaideurs ayant la charge de la preuve.
Un élément de preuve rapporté par une partie se présente en réalité comme une affirmation de cette partie. Simplement, cette affirmation n’est pas une allégation contenue dans ses conclusions mais " extériorisée " dans un document annexe, dans une pièce. Si on part de ce postulat, la solution retenue par la Cour de cassation selon laquelle l’adage " nul ne peut se constituer de preuve à lui-même " n’est pas applicable à la preuve des faits juridiques conduit à considérer que les juges du fond peuvent juger qu’une preuve est rapportée par la seule production d’un document établi par la partie sur laquelle pèse la charge de la preuve, dès lors que l’objet de la preuve porte sur un fait et non sur un acte. Il est alors aisé pour une partie d’établir elle-même un document qui vient appuyer sa prétention. Par exemple et par analogie, chacun sait que le paiement est un fait juridique qui se prouve par tout moyen. On devrait donc admettre qu’un simple tableau récapitulant les versements effectués pourrait être retenu par le juge du fond pour établir la preuve du paiement. Au cas de l’arrêt sous commentaire, le fait de rédiger des courriers, d’établir des attestations ou de communiquer des dépôts de plaintes devra être retenu par le juge du fond pour établir le caractère fautif des agissements d’un voisin et en obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
La question est alors déplacée du terrain de l’admissibilité du moyen de preuve vers celui de l’appréciation par le juge du fond du contenu de la preuve pour pouvoir se forger une conviction. Dans notre affaire, la Cour d’appel aurait dû examiner ces courriers, ces attestations, ces dépôts de plainte. C’est essentiel à souligner car l’enjeu est énorme. En effet, autant la Cour de cassation ne pourra rien dire sur ce dernier terrain car nul n’ignore que l’appréciation des juges du fond est souveraine et, donc, échappe à toute logique de cassation, autant l’absence d’examen du contenu des pièces produites à l’appui de l’allégation relative au fait juridique dans la cause sera désormais inexorablement censurée.
La preuve des faits juridiques est bien libre. Les plaideurs peuvent donc établir unilatéralement des pièces. Le juge du fond est tenu de les examiner. La leçon est simple mais méritait d’être à nouveau donnée…
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