Loi justice du 23 mars 2019 : Aspects de procédure civile
Publié le :
03/06/2019
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"La loi de programmation justice est entrée en application : MARCS - PREMIERE INSTANCE - APPEL. Voici les points de procédure civile qu’il faut retenir - En attendant les décrets d’application … »
La loi de programmation et de réforme de la justice ne peut que retenir l’attention tant par ce qu’elle dit que par ce qu’elle ne dit pas. Soumise au contrôle du Conseil constitutionnel qui a ainsi été amené à livrer une décision historique (Cons. Const. 21 mars 2019, n° 2019-778 DC) – davantage par sa longueur que par son contenu –, cette loi « tous azimuts » se laisse donc difficilement saisir. Comme pour le texte précédent, la loi « J 21 » dans la ligne de laquelle elle s’inscrit, il est en effet bien délicat de dire ce qui en constitue – au-delà de l’affichage initial de l’exposé des motifs – la colonne vertébrale. Sauf à considérer que la volonté d’économiser la ressource publique en est la seule raison d’être, ce qu’on ne saurait naturellement oser penser… La loi se laisse difficilement saisir à raison en particulier d’un champ d’application dans le temps pour le moins complexe, ce que sa nature de loi dite de « programmation » doit probablement justifier ! Mais une loi tellement complexe que, d’ailleurs, la Chancellerie a estimé nécessaire quelques jours après sa promulgation de diffuser sur son site Internet un document détaillé dont l’ambition est de permettre à tous (praticiens ou non) de s’y retrouver dans l’échéancier de l’entrée en vigueur des différentes réformes portées (en ce sens, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/CAB_LPJ_Fiches_EEV_2018-2022_190322_V5.pdf).
Il faut donc immédiatement avoir à l’esprit que les aspects de procédure civile, relevés et analysés dans les lignes qui vont suivre, sont appelés à devenir de droit positif entre le 25 mars 2019 (c’est-à-dire au lendemain de la promulgation de la loi) et, au plus tard, le 1er janvier 2022. Le foisonnement de décrets à prendre, d’ordonnances à promulguer explique pour partie cet échelonnement dans le temps qui ne facilite pas vraiment les choses et réservera peut-être des surprises (bonnes ou mauvaises) : la vigilance doit donc être toujours de mise…
De ce « vaste programme », donc, on se propose de mettre en lumière ce qui concerne, d’abord, la première instance, ensuite, l’appel. Non sans signaler que certaines dispositions intéressent de manière commune les différents degrés (cf. par ex. les dispositions concernant le dépaysement que ce soit pour des raisons de sécurité ou, surtout, de bonne administration de la justice mais aussi les dispositions relatives à la représentation obligatoire par avocat ou encore celles relatives l’anonymisation des décisions, à l’élargissement du recours aux mesures de protection du secret des affaires en cours d’instance avec des débats portés en chambre du conseil). Préalablement, on insistera sur les dispositions qui incitent toujours davantage à recourir aux modes alternatifs de règlement des conflits.
I – LES MARCS
Nul n’ignore que la loi « J 21 » a enclenché – à grande échelle – le mouvement vers le règlement alternatif des différends. La loi de programmation et de réforme de la justice poursuit dans cette voie selon une logique d’effet cliquet. Le principal verrou tient désormais à l’instauration d’une sanction en cas de non tentative de résolution amiable. Mais aussi dans la possibilité reconnue au juge d’imposer à tout stade de la procédure une médiation. Cette faveur à l’égard des MARCS s’accompagne aussi de quelques dispositions intéressant l’offre de services en ligne en la matière. Diverses dispositions viennent ainsi encadrer à compter du 25 mars 2019 les services proposant des modes alternatifs tels que la conciliation, la médiation et, même, l’arbitrage. Outre le respect de la réglementation sur la protection des données, des obligations d’information et de confidentialité sont posées. Et si ces services en ligne se proposent d’aider à la saisine des juridictions, c’est naturellement avec la limite de ne pas réaliser des actes d’assistance ou de représentation réservés aux avocats selon les textes bien connus et d’ailleurs modifiés comme on l’a déjà souligné (en ce sens l’article 5 de la loi du 23 mars 2019 qui ne joue cependant que pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020 sauf pour les instances prud’hommales pour lesquelles le dispositif est d’application immédiate).
L’article 3 de la loi conditionne, à compter du 1er janvier 2020, la recevabilité des demandes en paiement d’une somme d’argent (dont le montant sera fixé par décret en Conseil d’Etat) ou celles relatives aux conflits de voisinage (notion qui sera, elle aussi, précisée par décret) à une tentative de procédure préalable de médiation, de conciliation ou de procédure participative. En cas d’absence d’une telle tentative, le juge pourra, y compris d’office, prononcer l’irrecevabilité de la demande. On assiste là à une extension du mécanisme déjà existant devant le tribunal d’instance. Mais la généralisation n’est pas encore totalement de mise dans la mesure où sont envisagées plusieurs dérogations énumérées par la loi. L’une de ces dérogations a d’ailleurs retenu l’attention du Conseil constitutionnel. L’irrecevabilité ne peut être prononcée s’il s’avère que l’absence de procédure amiable est « justifiée par un motif légitime » et, notamment « l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ». Selon le Conseil, dans sa décision du 21 mars 2019, « s'agissant d'une condition de recevabilité d'un recours contentieux, il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir la notion de « motif légitime » et de préciser le « délai raisonnable » d'indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent » (pt. 20 de la décision).
Ce même article 3 permet, mais à compter du 25 mars 2019, au juge, en tout état de la procédure – en ce compris en référé – s’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, d’enjoindre les parties de rencontrer un médiateur qu’il désigne.
II – LA PREMIERE INSTANCE
La première instance constitue le « morceau de choix » de la loi du 23 mars dernier. Certaines nouveautés n’appellent pas de longues observations. D’autres méritent que l’on s’y arrête.
On signalera l’instauration – à l’horizon du 1er janvier 2021 – d’une procédure nationale et dématérialisée pour le traitement des injonctions de payer. Ainsi, une juridiction unique spécialisée sera désignée dont la compétence sera cependant bornée, d’une part, à des demandes dont le montant n’excédera pas un montant qui sera fixé par décret, d’autre part, à des demandes ne relevant pas de la compétence des tribunaux de commerce. L’idée centrale est alors celle d’une procédure dématérialisée – sauf exceptions – et sans audience – là encore, sauf exceptions –. L’inspiration d’une telle proposition est à recherchée dans le règlement (CE) du 12 décembre 2006 portant création de la procédure européenne d’injonction de payer qui contenait déjà en germes (aussi bien dans ses considérants que dans certains de ses articles) ces divers aspects.
On insistera surtout sur le bouleversement annoncé pour le 1er janvier 2020 puis le 1er janvier 2022.
Ainsi, d’ici à la fin de l’année civile, va-t-il falloir se familiariser avec la réorganisation d’ampleur que constitue l’instauration des tribunaux judiciaires. C’est là traduire, entre autres, la fascination qui a marqué le législateur pour l’unicité, qu’elle soit donc celle de la juridiction ou celle du juge (art. 95) qui devient la règle au détriment de la collégialité, ce qu’on se permettra de regretter !
Pour aller à l’essentiel, les actuels tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance seront réunis, à l’horizon du 1er janvier 2020, sous la bannière de tribunaux judiciaires dont il apparaît qu’ils deviennent la juridiction de droit commun en matière civile et commerciale, sauf compétence d’attribution particulière. Il faut y voir le gage de l’« amélioration de l’efficacité en première instance », pour reprendre la formule du législateur en tête du chapitre consacré à ces tribunaux judiciaires… La dimension de rationalisation est d’évidence et il suffit ici de se reporter aux dispositions relatives à la spécialisation de ces tribunaux, lorsqu’il en existe plusieurs dans un même département, pour s’en persuader. Tout au plus, deux « créations » méritent mention qui témoignent de la volonté de ne pas totalement abandonner les territoires non plus que de désincarner trop le travail juridictionnel. Ainsi, en premier lieu, peuvent être créées des « chambres de proximité » dont le libellé (et les missions qui seront définies par décret) font écho au défunt juge de proximité ! Surtout, il est instauré un juge des contentieux de la protection qui, statuant à juge unique sauf exception, connaîtra de questions très variées telle que la tutelle, les expulsions, le crédit à la consommation ou encore le surendettement.
On soulignera aussi un premier pas – certes limité pour l’instant – qui va permettre « à l’initiative des parties, lorsqu’elles sont expressément d’accord » que la procédure se déroule sans audience (art. 26). La procédure devant le TGI pourra donc désormais être exclusivement écrite. Mais, comme le prévoit le COJ, siège de cette nouvelle règle, « toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande. » Comme l’a souligné le Directeur des affaires civiles et du sceau dans un article récent, c’est là répondre « au développement de la pratique du dépôt de dossier en matière civile (…) et s’adapter à la demande des professionnels du droit et des justiciables ».
III – L’APPEL
Le stade de l’appel est l’objet d’un seul et unique article placé sous l’intention d’« améliorer la cohérence du service public de la justice au niveau des cours d'appel ». Il est vrai que les choses sérieuses en la matière sont plutôt à attendre du côté du groupe de travail sur la Cour de cassation récemment installé dont la lettre de mission contient un premier bilan des effets du décret « Magendie ». Cependant l’article 106 de la loi du 23 mars 2019 mérite attention même s’il est, pour l’instant, bien délicat d’en tirer quelques conséquences. Selon lui :
« A titre expérimental, dans deux régions, et pour une durée de trois ans à compter du lendemain de la publication de la présente loi :
(…)
2° Des cours peuvent être spécialement désignées par décret pour juger, sur le ressort de plusieurs cours d'appel d'une même région, les recours contre les décisions des juridictions de première instance rendues dans les matières civiles dont la liste est déterminée par décret en Conseil d'Etat en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières.
Six mois au moins avant le terme de l'expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport procédant à son évaluation. »
L’échéancier précédemment mentionné ne permet pas de se faire une idée précise du calendrier, en particulier, s’agissant de la perspective « expérimentale » de spécialisation d’une cour d’appel « régionale » pour connaître des recours « contre les décisions des juridictions de première instance rendues dans les matières civiles dont la liste est déterminée par décret en Conseil d'Etat en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières ». On peut cependant penser que les choses iront vite, ne serait-ce tout simplement en raison du fait que l’expérimentation doit cesser le 25 mars 2022 et qu’il est attendu un rapport d’évaluation en octobre 2021 ! Or, si l’on veut avoir de la matière, le délai de mise en place doit nécessairement être bref.
Deux observations – faussement naïves – s’imposent alors.
La première observation consiste à souligner que toute spécialisation emporte avec elle son lot de difficultés procédurales. Il suffit ici de rappeler le « sur-contentieux » né de la spécialisation des huit juridictions de première instance et de la cour d’appel de Paris pour connaître des demandes intéressant la rupture brutale des relations commerciales établies. Les erreurs d’aiguillage sont encore fréquentes et il aura fallu attendre près de 10 ans pour que la Cour de cassation, après plusieurs tentatives, y mette fin… Le délai (affiché) de trois ans pour l’expérimentation sera-t-il suffisant pour tirer de réels enseignements de sa pratique ? On peut en douter !
La seconde observation tient au fait que l’expérimentation, en matière de politiques publiques, annonce très souvent (si ce n’est toujours !) la généralisation. C’est donc là mais à bas bruit, la première étape vers une refonte de la carte judiciaire de l’appel qui se profile à moyen terme…
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